2. L’AFFAIRE BOKASSA
Résumons-nous. En 1958, lors de l’accession au pouvoir du Général De Gaulle, vous êtes détaché en Afrique, à Brazzaville, pour faire vos classes, en face du Centrafrique.
18 ans de casernes et de campagnes pour le compte de la France, une légion d’honneur à titre militaire. Vous semblez être l’Africain le plus digne de recevoir l’indépendance de votre pays, des mains d’André Malraux, en 1960. Curieusement, ce jour-la, vous êtes habillé en OFFICIER FRANÇAIS. À Bangui, votre cousin David Dacko devient le premier président de Centrafrique et, comme chef d’état major, vous fondez l’armée centrafricaine. Issu d’une famille respectée – votre grand-père Boganda fut l’un des grands prêtres de l’Afrique – on ne vous reproche rien de grave ; parfois une petite virée « souvenir de casernes » qui fait rigoler De Gaulle. Vous êtes l’un de ses baroudeurs préférés…
Question : Comment une baraka comme celle-là peut-elle s’interrompre ? Et comment tout a commencé ?
Jean-Bedel Bokassa : J’avais fait mes études à Brazzaville, c’était tout à fait normal parce que c’était là où y avait les autres étudiants et l’école supérieure à Édouard « Ena »; à Bangui, y en n’avait pas. C’est comme ça que j’ai terminé, complètement, avant de rentrer à la maison. Quand j’ai eu terminé, j’ai dit à mon grand-père: « qu’est-ce que je fais grand-père ? » il me dit : « il faut rentrer dans l’armée française ». En fait j’ai obéi, parce qu’il m’a dit « une fois rentré dans l’armée française, tu vas apprendre à te battre, parce que c’est toi qui va conduire le pays ». Et tout ce que mon grand-père a dit concernant notre pays est arrivé. J’ai eu la direction du pays ; c’est venu pratiquement tout seul, parce que les centrafricains connaissent l’histoire de mes parents, et à chaque fois, ils m’ont conduit, conduit, conduit… Je ne voulais même pas au départ, je ne voulais pas accepter la démission de Dacko.
J’ai bien réfléchi, c’est à partir seulement du 4 janvier que j’ai formé le gouvernement, parce que l’ambassadeur de France, qui s’appelait Jean-François, m’a dit: « faut former le gouvernement, sinon je fais appel à la France et on prend le pays, alors… J’étais menacé.
Q : Pourquoi Dacko avait-il démissionné ?
JBB : Dacko m’a convoqué. Moi, je viens pour parler. Or, ils avaient déjà mis l’armée en place, avec les munitions et tout. Moi j’arrive au palais, il est sous l’auvent pour se protéger de la pluie, je me suis trouvé devant lui à dix mètres.
Devant lui, il m’a fait arrêter et il a dit aux troupes formées par les Chinois de tirer sur moi et ils ont tiré. Je le jure sur la tête de mes enfants, sur la tête de mon père.
Q : Et où sont parties les balles ?
JBB : Bon, écoutez, y a une balle qui est allée tuer un Français – un ingénieur qui passait – et la balle est allée frapper au volant de sa voiture, sur la route, puis il est mort. Mais comme Dacko m’avait condamné, dans la journée, dans la journée, j’avais acheté mon cercueil, j’ai dit : « bon, comme il m’a condamné à mort, il ne sera pas coupable de m’enterrer, alors je prépare mon cercueil ». Quand l’ingénieur français est mort, le colonel en a parlé à l’ambassadeur qui est venu me demander mon cercueil pour ramener le corps du Français. Je l’ai donné. Mais les militaires de Dacko ont tiré sur moi. Toutes les munitions sont finies, je suis toujours debout.
Q : Mais c’est de la sorcellerie ou des balles à blanc?
JBB : Non, non, c’est une bénédiction de Dieu. Je suis très catholique. Ils ont tiré… Le type qui a commandé les troupes formées par les Chinois, ce type-là est à Bangui. Un jour, vous verrez, je l’appelle on vous le présentera. Moi j’ai pas touché à lui. Non, non, quand j’ai dit : « ils ont dit y a des munitions », j’ai dit à Dacko : « mais dis donc, y a des munitions est-ce que je reste encore là ? » Il dit non, il y a un miracle, je démissionne. Alors il est venu, il est rentré, il a signé la démission, il a dit : « Tu vas me tuer ? » Je lui ai dit : « Mais tu es fou toi ! Tu es de mon sang, tu es le fils de ma tante, tu m’as vu faire des conneries comme ça une fois ? Bon, allez, viens ». Je l’ai amené chez Catherine, j’ai dit: « Donne-lui à manger, donne-lui du café », et puis il est resté. J’ai dit : « Bon, n’ai pas peur, reste là. Tu m’aideras si j’accepte de prendre le pouvoir comme conseiller. Nous sommes là pour notre pays ».
Q. : Quelques jours après sa démission ?
JBB : Bon, oui allez chercher ça, vous ne verrez ça nulle part mais quand Giscard a fait le coup – qu’il l’a amené dans l’avion militaire pour le ramener à Bangui, au pouvoir – dès que Giscard l’a déposé là-bas, il n’a pas tenu deux ans. Il a fait à peine un an, le peuple l’a chassé. Il a donné le pouvoir à Kolimba parce que le peuple voulait le tuer. « Tu es un traître salopard, où est notre empereur ? »
Q. : Qui avait l’intention de vous supprimer?
JBB : Je crois que toutes mes difficultés partent du jour où il y a eu un colonel français nommé Coffinier. Quand je suis arrivé à Bangui venant de France, il m’a dit: « Vous êtes français, vous êtes officier français, il faut nous aider, nous donner des renseignements sur les activités du gouvernement, il faut me dire tout ce que Dacko fait ». J’avais refusé, mais les renseignements je les ai donnés à la France. Dans le cadre de l’état major j’ai été officier chargé des renseignements, j’en ai donné pas mal pendant la seconde guerre mondiale ; et même jusqu’en Indochine, comme officier de transmission, je renseignais, c’est obligatoire, sur les ennemis. Maintenant je suis dans mon propre pays. Je ne veux plus vous renseigner sur les activités du gouvernement de mon propre pays. Je ne veux pas être l’espion contre mon pays. C’est le point de départ de toutes les difficultés, jusqu’à aujourd’hui. L’histoire de Giscard. Le point de départ, c’est le refus de Bokassa de collaborer sur la base de renseignements à fournir concernant son propre pays. La République Centrafricaine à l’époque, et même jusqu’à présent, n’a jamais été un pays ennemi à la France. Voilà ce qui a déplu, j’ai refusé de donner des renseignements. Vous êtes officier français, citoyen français, et vous ne voulez pas renseigner la France sur ce fait passé.
Q : Racontez l’histoire de la « fausse Martine ».
JBB : Je quittais l’Indochine en 1953, comme tous les soldats. Je veux parler des survivants parce qu’il en était resté pas mal en Indochine après toutes les pertes en vies humaines que nous avions connues, sans écarter Diên Biên Phu, comme vous le savez très bien.
Mais en Indochine, pendant la guerre, il y avait beaucoup de soldats français et soldats africains, comme moi-même, qui avaient vécu aussi avec des personnes de ce beau pays malgré la guerre. Et j’avais connu une jeune fille, et cette jeune fille m’avait donné un enfant de sexe féminin auquel j’avais donné le nom de Martine Bokassa. Je suis parti, l’enfant avait deux mois de naissance.
Alors à deux mois il était impossible de voyager avec un enfant, surtout la traversée de la Mer Rouge. Donc j’ai laissé l’enfant en accord avec sa maman qu’un jour, une fois arrivé dans mon régiment, je réclamais mon enfant, parce que pour eux les femmes vietnamiennes, comme c’était la guerre, quand elles faisaient un enfant avec quelqu’un, leur souhait était que le soldat emmène son propre enfant parce qu’eux, là-bas, ils n’avaient pas le temps de s’occuper des enfants. Un beau jour, mon pays me réclame, le gouvernement français donne son accord pour que je rentre dans mon pays. Je vais rentrer dans mon pays comme assistant technique, je dépendais de l’ambassadeur de France directement et du chef de la mission d’aide et coopération. J’occupais une villa qui était voisine de celle d’un magistrat français qui s’appelait Bignet. Le magistrat Bignet qui avait sa villa, et de l’autre côté de la route c’était la mienne tout de suite, et c’était des villas qui jusqu’à aujourd’hui appartiennent à la mission d’aide et de coopération, c’est-à-dire à la France. Quand j’ai réfléchi, j’ai vu que l’enfant que j’avais laissée avait déjà 16 ans. J’ai écrit à l’ambassadeur de France à Bangui pour demander à ce que mon enfant me revienne (?). L’ambassadeur de France à Bangui a bien transmis ma demande aux autorités françaises, lesquelles ont répercuté sur le consulat général de France à Saïgon, pour retrouver l’enfant.
Le consul général de France à Saïgon, au lieu de m’envoyer mon propre enfant, ils ont pris une autre jeune fille de 17 ans, donc un an de plus que le mien et ils ont remis du poison à cette jeune fille-là.
Ils lui ont dit de tout faire comme si j’étais le père mais la fille, qui savait très bien, elle était préparée. Le consul avait donné de l’argent à la mère, payé la mère donc pour qu’elle accepte cette fille métisse malgache vietnamienne. Alors la fille m’a été envoyée à la maison. Catherine et moi, nous avons reçu la fille.
J’ai moi-même été à l’aéroport accueillir la fille le jour de son arrivée et avec des bouquets de fleurs et tout ; j’ai cru que c’était mon enfant. Mais, c’est à la maison, lorsque nous habitions ensemble avec la fille que j’ai découvert que c’était pas mon enfant. Comment j’ai découvert ? J’ai découvert chaque matin quand on se levait, qu’on apercevait la fille, Catherine et moi, on disait bonjour à la fille mais en réponse la fille insultait notre mère en vietnamien. Or moi je comprends le vietnamien mais la fille pensait que je ne le comprenais pas. J’ai dit à Catherine : « C’est bizarre, chaque fois qu’on lui dit bonjour, elle nous insulte la mère, mais c’est pas possible, ça ne doit pas être ma fille ». Et un jour nous avons laissé la fille partir en ville pour s’acheter des robes et des chaussures, et Catherine et moi nous sommes allés fouiller un peu dans sa valise et c’est là qu’on a trouvé un paquet de poison avec les inscriptions précises en français et vietnamien. Et cette fille devait mettre le poison soit dans la boisson, soit dans le repas. Automatiquement nous avons signalé au ministre de la justice, au ministre de l’intérieur, nous avons remis la fille au ministre. Nous nous sommes séparés automatiquement de la fille parce que c’était dangereux. Nous l’avons placée à l’hôtel Safari gardée par la police.
Nous avions l’intention de la juger, de la présenter au tribunal pour être jugée comme espionne mais j’ai réfléchi. J’ai fait une déclaration devant le peuple centrafricain en disant que malgré la tentative du consul général de France à Saigon de me faire assassiner par un poison que devait utiliser cette fille, malgré cet acte, je déclare adopter définitivement cette fille comme la mienne. Mais en contrepartie, je refais de nouveau une demande à l’ambassade de France afin que ma propre fille me soit remise.
Alors je dirai que quand ma deuxième demande est partie, arrivée à Saïgon qui sans doute avait reçu des instructions et ne se manifestait toujours pas de m’envoyer ma propre fille, c’était les États-Unis, dans leurs bonnes relations avec le président Nguyễn Văn Thiệu qui ont demandé de m’envoyer ma fille. Donc c’était à l’intervention des États-Unis que le président Nguyễn Văn Thiệu avait demandé au ministre des affaires étrangères de désigner trois fonctionnaires de ce ministère pour accompagner la femme, avec laquelle j’avais fait l’enfant, avec ma fille. Mon ex-femme a amené le journal où on la voyait couchée dans le lit de l’hôpital, la copie de l’acte de naissance de l’enfant et la photo du bébé fille que j’avais pu faire quand elle était à la maternité.
Q : Qui avait donné du poison à cette fameuse Martine ?
JBB : Le consul général de France à Saïgon.
Q : Et l’attentat de l’aéroport de Bangui, le 6 février 1976 ?
JBB : Etant moi-même le fondateur de l’armée centrafricaine, il s’est trouvé qu’il y a eu un commandant centrafricain, chef de bataillon, un homme que j’ai moi-même recruté, formé et a qui j’ai remis des grades, il s’est présenté à moi pour demander la main de la fausse Martine. J’ai accepté, je l’ai adoptée, elle a maintenant une vingtaine d’années, j’ai dit d’accord pour le mariage entre le commandant Fidèle Obrou et Martine Lafosse ; leur mariage a été présidé, financé par moi-même entièrement. Obrou et sa femme ont vécu librement. Obrou vivait dans un camp militaire avec sa femme Martine à la satisfaction de tout le monde, tout le monde était tout à fait d’accord. À ma grande surprise, un jour, je quitte Bangui pour aller passer quelques jours à Délé (préfecture à la frontière du Tchad) où j’ai un parc de chasse… je quittais Bangui pour cette zone de chasse pour me reposer et me soigner (j’avais la goutte au pied et c’est une honte de le dire etc.). À 10 heures du matin, je quitte le palais et arrive à l’aéroport de Bangui Pokon International. En montant les escaliers du salon d’honneur impérial entre la grande porte d’entrée et mon salon, j’ai aperçu le commandant Obrou habillé en grande tenue de guerre avec des grenades et des pistolets. Il avait avec lui 20 soldats habillés comme lui-même avec des grenades et des pistolets partout. Comme il est mon gendre je l’ai pris comme un gendre qui vient me saluer, me dire au revoir, car n’oubliez pas que je lui ai serré la main et j’ai serré la main aux 20 militaires qui formaient sa suite. Je monte dans mon salon, les ministres venus pour me saluer me saluent. Je donne les dernières consignes avant de partir et au moment où je descends de mon salon au 1er étage par l’escalier, je sors et quitte le bâtiment. Je me trouve entre la caravelle et le bâtiment, mon gendre à mes côtés me suivait, il dégoupille une grenade, se couche et glisse la grenade sous mes pieds. J’entends un cri, tout le monde me dit : « Couchez-vous ! » Je regarde partout. Il y a des gens qui se sont précipités pour m’obliger à me coucher. J’ai refusé de me coucher, la grenade a explosé. Tous les gens de l’aéroport (un DC 19 d’Air Afrique venait d’arriver, les passagers débarquaient) ont assisté à cet attentat du commandant Obrou. La grenade offensive F1 a explosé mais miracle, elle a été coupée en deux. On a entendu un grand bruit, on a vu de la fumée mais la grenade était coupée en deux au milieu, les 350 éclats n’ont pas éclaté. Affolement, il a commencé à tirer sur moi avec son pistolet à main. Je le regardais, il était à quelques mètres, il a continué à tirer jusqu’à ce que ses cartouches soient finies. Au dernier moment, comme ils voyaient qu’aucune balle ne me touchait, ils sont montés dans une voiture pas trop loin. De là, ils ont envoyé une grenade qui a touché la paroi de la voiture, est retombée dedans, a explosé, carbonisant les gens, la voiture. Les gens n’ont pas eu le réflexe de sortir de la voiture.
Q : Comment expliquez-vous qu’ils vous aient raté à bout portant ?
JBB : Ils avaient avec eux un officier français, le capitaine Duthay. Il est du génie militaire français, il est encore en France, il m’avait écrit une lettre de remerciements parce que j’ai refusé qu’il soit condamné et je l’ai simplement remis à l’ambassadeur de France. J’ai dit, je ne ferai jamais de mal à un Français. C’est lui qui avait monté le coup. Le coordinateur.
Q : Enfin, il y a 3 ans, après l’incident Delpey (Canard Enchaîné), l’avion qui vous transportait fut victime d’un curieux incident mécanique.
JBB : Je le dis, j’ai des témoins, le colonel Croissy, chef d’étal major du président Houphouet Boigny qui était dans l’avion avec moi, le personnel de la tour de contrôle qui pendant 2 heures a interdit l’atterrissage parce que le train ne sortait pas, le secrétaire général du gouvernement ivoirien qui s’appelle Belkiri qui est venu me présenter les excuses du président pour accident manqué. Je prends à témoin également monsieur Aka traducteur, secrétaire général aux affaires étrangères. L’avion était truqué, saboté, le train ne sortait pas. Par miracle, deux heures, après il est sorti.
Q : Comment ont éclaté les émeutes de janvier 1979 ? Quel est votre avis sur leurs causes ?
JBB : Quand VGE est venu en 78, dans la deuxième quinzaine du mois de décembre, il m’a demandé l’autorisation d’inviter le 1er ministre Henri Maïdou à Paris. J’ai dit d’accord. Quand Maïdou est parti pour Paris, aux environs du 27-12, à peine une semaine après, les premières émeutes de Bangui éclataient. Et moi, j’ai refusé de m’occuper de ces émeutes. J’ai dit : c’est un sale coup, c’est de la responsabilité du gouvernement : Comment ça ? Maïdou vient à peine de partir et des émeutes commencent ; moi je ne prends pas part. Je suis resté dans mon village natal. On est venu me prier, on m’a dit: « Venez c’est important ».
J’ai dit : « Non, je viendrai quand le premier ministre sera de retour. Je vous ai remis l’interview de H. Maïdou publiée dans Jeune Afrique en janvier 1980, dans laquelle Maïdou exprime sa joie. Il décrit tout le scénario, comment ils se sont rencontrés avec Giscard, comment ils ont tout combiné pour me faire tomber. Alors un premier ministre qui trahit son pays et son chef d’état, pourquoi ne pousse-t-on pas l’enquête un peu plus loin pour mettre en cause sa responsabilité ?
Q : Les émeutes ont été atrocement réprimées, et pourtant vous avez accepté qu’une commission d’enquête travaille en Centrafrique ?
JBB : A la suite de ces émeutes, il y a eu une commission d’enquête composée de juristes africains. Cette commission, je l’ai accueillie, je lui ai facilité le travail. Ils ont pu faire ce qu’ils voulaient et d’ailleurs, à la fin de leur séjour en Centrafrique, ils sont venus me remercier pour me dire que bien entendu il y avait eu des émeutes, bien entendu il y avait eu une répression très dure, mais qu’à aucun moment ils n’avaient rencontré de témoins m’accusant d’avoir participé personnellement à ces massacres. Cette commission d’enquête était financée par le président de Côte d’Ivoire M. Houpoüet. Seulement cette première version de leur conclusion, personne ne l’a jamais vu. Parce qu’avant d’être publique, le rapport a fait un long séjour à Paris et un long séjour à Londres. Et là curieusement à la fin, la conclusion dit que les atrocités des émeutes ont eu lieu avec ma participation « quasi » certaine. Quasi, Ce n’est pas une preuve. Cela ne veut rien dire dans une conclusion officielle. Et tout le rapport est comme cela, jamais il n’y a de témoignages, jamais il n’y a de preuves. Vous pensez bien que si ma responsabilité avait été engagée dans ces émeutes, je n’aurais jamais accepté que la commission vienne enquêter chez moi ! Ensuite, quelque temps après la publication du rapport de la commission, il y a eu le conseil des ministres du mois de septembre. A la fin de ce conseil, Robert Galley qui était ministre de la coopération, a annoncé que la France retirait toutes ses parts dans les banques centrafricaines. Du jour au lendemain, les finances de mon pays se sont retrouvées à zéro. Plus moyen de payer les fonctionnaires. Plus d’argent en caisse. C’est là que j’ai convoqué l’ambassadeur de Libye à Bangui et l’ambassadeur de Centrafrique à Tripoli pour organiser un rendez-vous avec Kadhafi, arranger un voyage. Nous avions créé quelque temps auparavant une banque à Bangui avec Kadhafi, mais les fonds n’étaient pas arrivés. Cette banque ne fonctionnait pas encore. Je voulais lui demander de renflouer tout de suite cette banque-là et permettre le fonctionnement du pays pendant au moins deux ans, en attendant de remettre l’économie en place.
Je suis donc parti à Tripoli le 19 septembre puis a Bengazi, où le président voulait me recevoir. Il m’a reçu à 23 heures. Et avec le ministre Triki nous avons mis en place les accords qui allaient permettre cette aide financière. Je devais signer les accords le lendemain matin à 8 heures. Malheureusement, à 2 heures du matin, Triki frappe à ma porte et me dit que la France envahit mon pays. Giscard a envoyé 5000 hommes pour prendre possession du CA. Il me dit d’écouter la radio. Et effectivement je prends Radio France Internationale qui annonçait que j’avais été « renversé » et que pour soutenir le nouveau président, M. Dacko (Dacko est de la même tribu que moi, c’est mon cousin et c’était à l’époque l’un de mes conseillers politiques), la France avait envoyé ses troupes d’intervention basées un peu partout en Afrique. C’était l’opération Barracuda. Une opération prévue de longue date. Et Dacko était dans les soutes des avions qui amenaient les soldats français.
À ce moment-là, j’ai voulu de nouveau rencontrer Kadhafi, mais son ministre Triki me répond que c’est impossible. Que le président me fait dire qu’il peut seulement mettre à ma disposition les 500 hommes que je lui avais donnés pour la formation militaire et qu’il peut y ajouter 2 500 hommes de la légion islamique pour me lancer à la contre-attaque. Il fallait que je décide tout seul.
Il avait des avions pour transporter toutes ces troupes qu’il augmenterait au besoin. Alors moi, cette proposition de Kadhafi, j’y ai réfléchi et j’ai répondu : « Je ne veux pas. Ça va être comme le Tchad ». La guerre avait éclaté au Tchad dix ans auparavant, et ce n’était jamais fini. Nous n’étions pas assez nombreux et pas assez armés, je ne pouvais pas. Et puis surtout je ne pouvais pas prendre la décision de prendre les armes contre la France. J’ai été formé en France. J’ai servi pendant 20 ans dans l’armée française, je ne pouvais décider de retourner le canon de mon arme contre un seul soldat français. Je me suis dit que j’allais trouver Giscard pour discuter avec lui en tête-à-tête, d’homme à homme, pour trouver la meilleure solution pour tout le monde. J’ai pris mon avion, décollé de Bengazi en direction de la France. Malheureusement, à peine étions-nous dans le ciel français que les mirages nous encadraient et nous obligeaient à nous poser sur le terrain militaire d’Évreux. Giscard avait décidé de me faire arrêter, c’était son plan. Nous avons été encerclés par des troupes armées jusqu’aux dents. Et puis des soldats et des officiers sont rentrés dans l’avion. Ils m’ont dit: « Taisez-vous ! Vous ne commandez plus rien ! ». Puis ils m’ont fouillé. Ils m’ont mis nu. Et puis ils m’ont laissé seul enfermé dans l’avion pendant quatre jours et quatre nuits. Sans que je puisse rencontrer personne, aucun journaliste, rien.
Ensuite Giscard m’a directement expédié en Côte d’Ivoire. Là on m’attendait avec un hélicoptère, et j’ai été immédiatement amené ici dans cette maison où je suis en résidence surveillée depuis plus de 4 ans maintenant. Après qu’il m’ait expédié ici, Giscard a donné l’ordre à l’ambassadeur, Robert Picquet, de récupérer mes biens. Robert Picquet, avec le concours des soldats, a pris la totalité de mes biens, dans mon village natal à Berengo, et dans mes villas de Bangui. Ils ont tout fouillé, et tout a été pris. Ces biens-là ont été chargés dans des avions Transal et ils ont été débarqués dans un magasin militaire près d’Orléans, à la disposition de Giscard. Depuis, M. Robert Picquet a été nommé lui, commandeur de la légion d’honneur.
Q : À quel événement récent pourrions-nous comparer votre cas ?
JBB : Si nous prenons pour exemple le massacre de Chabra et de Chatiba, on a accusé le ministre de la défense, qui s’appelle Sharon, mais on l’a simplement démis de ses fonctions et on l’a conservé comme ministre sans portefeuille ; mais on n’a pas pris ses biens, on n’a pas pris sa femme. Pourquoi il n’y a pas la même mesure alors qu’il y a eu des milliers de morts là-bas ? On vient de m’accuser pour une histoire de 22 morts asphyxiés, je ne suis pas le gardien de la prison. Je ne connais rien si les gardiens de la prison ont commis une maladresse. Je vous dis que mon cas n’est vraiment pas sale. Moi, on m’a mis contre le mur avec ce cas-là parce qu’on veut plus de moi, de ma présence.